Digitalisation : les petits commerces sont-ils condamnés ?

(Article publié dans le magazine Victor, FJD, juillet 2019)

Vu la diversité des réalités sur le terrain, une réponse de Normand s’impose : ça dépend ! En effet, le type de commerce, sa localisation, sa santé financière préalable, sa qualité de gestion… sont autant de paramètres qui feront que la digitalisation sera subie et mènera vers une issue probablement fatale ou alors permettra au contraire à un commerce une rémission, voire une renaissance.

Le succès d’un commerce de détail de centre-ville dépend toujours très largement des trois critères les plus importants en la matière : 1. La localisation, 2. La localisation et 3. La localisation ! Et de ce point de vue, une bonne localisation est celle qui génère un flux de piétons important. Néanmoins, la grande majorité des commerces ne jouissent pas de telles rentes de situation et connaissent des fortunes plus ou moins variées. Une localisation dans une ville du Nord ou de l’Est du Luxembourg, par rapport à un centre-ville dynamique, aura forcément un taux de fréquence inférieur et une zone de chalandise plus étendue à couvrir afin de parvenir à subsister. En contrepartie, les coûts de loyer seront évidemment bien moindres et s’implanter en dehors des grandes concentrations commerciales peut aussi être bénéfique pour certains commerçants.

Pour le reste, les variables classiques feront qu’un commerce prospère plus qu’un autre : accueil et service au client, assortiment de produits, heures d’ouverture, communication et marketing, services annexes telle la livraison…

La digitalisation apporte toutefois un réel bouleversement dans ce monde du commerce de proximité qui s’est parfois un peu assoupi dans un train-train quotidien avant de se réveiller brutalement aux premiers problèmes de trésorerie. Le résultat le plus visible en est évidemment une concurrence accrue qui profite à ce stade au consommateur. Or la digitalisation offre également d’énormes opportunités aux commerces de détails. Pour schématiser, on peut distinguer trois dimensions principales : communicationnelle, servicielle et opérationnelle.

D’un point de vue communication tout d’abord, il n’a jamais été aussi peu onéreux de communiquer avec ses clients et ses prospects, avec un retour sur investissement directement visible et chiffrable. Les moteurs de recherche et les réseaux sociaux offrent de plus en plus d’options pour communiquer de manière très ciblée, avec des outils désormais utilisables par des non-initiés qui auront juste pris un peu de temps pour s’informer (sans même parler de se former). Evidemment, pour celles et ceux qui ne veulent vraiment pas s’y mettre en personne, les agences de communication commencent tout doucement à développer des offres packagées, à budget prévisible, pour sous-traiter cela en externe. C’est donc une belle opportunité pour des commerces de se promouvoir de manière bien plus efficiente qu’avant la digitalisation.

Ensuite, la digitalisation et ses nouveau outils apportent la possibilité d’offrir de nouveau services. La vente à distance est l’un de ces services qui, là aussi, devient réellement abordable, sans même parler de l’offre exceptionnelle de Letzshop.lu au Luxembourg. Au-delà d’une simple boutique en ligne qui permet en théorie de vendre partout dans le monde 24h/24 et 7j/7, une approche servicielle peut ainsi être le socle d’une stratégie de différenciation pour tenter de lutter contre les géants du commerce en ligne, qui eux aussi, cherchent entretemps aussi à s’implanter dans les centres villes.

Les habitudes du consommateur ont changé, c’est un fait, et il n’accepte plus de se retrouver devant des portes fermées. Son premier reflex va être de rechercher le produit sur internet, très probablement un client de perdu pour le commerce stationnaire. Les horaires d’ouverture sont ainsi un élément important pour faire face à la concurrence online, mais pour un petit commerce de détail, cela représente souvent un véritable défi organisationnel et financier. Les moyens offerts par la digitalisation permettent de nos jours de continuer à servir le client même si les portes du magasin physique sont fermées.

Ainsi, la possibilité de poser ses questions à un commerçant par le biais d’un chat Facebook sur la page du commerce p.ex. évite au client de se déplacer pour rien (surtout si la boutique est fermée) et permet au commerçant de répondre rapidement à la demande alors qu’il est au parc avec ses enfants. De même, il est possible de mettre en place des solutions digitales pour gérer les retours ou échanges produits sans présence humaine dans le magasin. L’équilibre vie professionnelle, vie privée est évidemment un concept à part pour des commerçants indépendants, mais la digitalisation permet aussi des aménagements en la matière sans être au détriment de l’activité professionnelle.

Enfin, il y a clairement une dimension opérationnelle à la digitalisation, dimension souvent ignorée ou négligée par les commerçants. En effet, il existe de plus en plus d’outils de gestion d’entreprise qui ciblent les petits commerces, à commencer par la gestion des stocks et des commandes et bien sûr les outils de gestion de la relation client, les fameux CRM. Il est même possible de regrouper tout cela dans ce qu’on appelle un ERP, un progiciel qui permet de gérer l'ensemble des processus d'une entreprise en intégrant toutes ses fonctions, y inclus la gestion des ressources humaines, la gestion comptable et financière etc. Trop compliqué et trop cher tout cela ? Plus vraiment de nos jours et la tendance va vers une amélioration des performances et de l’ergonomie de ces systèmes, accompagnée d’une baisse constante des prix du fait d’une concurrence accrue sur ce marché. Il reste certes l’investissement en temps lors de la mise en place de tels outils, mais leur impact apporte de nettes améliorations de performances en accélérant bon nombre de processus quotidiens par la suite. Le commerçant, chef d’entreprise, y gagne aussi en contrôle et maîtrise de son activité, donc en sérénité.

Outre ces trois dimensions liées à la digitalisation, il y en a une quatrième, très importante, qui permet d’augmenter les chances de survie des commerces de détails : la coopération avec d’autres commerces de détail dans une rue, un quartier, voire au niveau national. Traditionnellement, on parle souvent d’indépendants pour qualifier les patrons de petits commerces et le mot a son importance. Ce mot d’indépendance comporte cette notion importante de liberté de faire ce que l’on veut, comme on le veut. Dans certains cas, cela a pu aboutir à une forme d’isolation, or désormais l’adage « l’union fait la force » revient à la mode et pour cause : la concurrence du monde digital et des grandes surfaces fait que les commerces de détail doivent se réinventer et trouver d’autres manières d’animer leur rue commerçante.

De telles opérations sont traditionnellement coordonnées par des Unions commerciales, mais l’on voit désormais des associations se former sur une rue ou sur un quartier et c’est une excellente chose. Cela implique aussi une certaine solidarité entre commerçants et la boutique qui ces dernières années refusait encore d’ouvrir le dimanche « parce qu’elle n’en a pas besoin » comprend peu à peu que si elle n’ouvre pas comme ses voisines qui en ont, elles, besoin, elle risque de tuer l’environnement dans lequel elle prospère pour le moment. Ce changement de mentalité est indispensable et les commerces qui s’obstineront à ne pas vouloir changer leur façon de faire disparaîtront à court ou moyen terme.

Cette coopération pourrait d’ailleurs aller au-delà de l’événementiel commercial pour une rue ou un quartier. Ces entreprises pourraient coopérer pour acheter ensemble des solutions digitales et obtenir ainsi de meilleurs prix, organiser ensemble un service de voiturier gratuit pour leurs clients, organiser ensemble une garderie pour enfants dans leur rue…

La digitalisation est un défi pour les petits commerces, mais le défi des uns et toujours l’opportunité des autres. Ce défi sera insurmontable pour celles et ceux qui ne voudront pas faire face et changer. Tous les autres auront leur chance.

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